Comment évaluer l’impact des processus humains qui sont en mouvement dans les tiers-lieux ? La réponse de Commune mesure

Amélie ChapetTransition écologique ArticlesLeave a Comment

L’évaluation d’impact est un processus complexe qui fait débat

Sujet controversé et ambigu, l’évaluation d’impact cristallise les divergences de points de vue de certains acteurs de l’écosystème des tiers-lieux. D’un côté, les financeurs, notamment publics, ont besoin de données chiffrées pour rendre compte de leurs engagements et allouer leurs ressources économiques vers des projets qui sont alignés avec leur politique de financement. Sur les enjeux de transition écologique tout particulièrement, certaines données leur permettent de s’assurer que les projets financés soient bien alignés avec des objectifs politiques locaux ou nationaux.

De l’autre côté, les porteurs de projets de tiers-lieux sont confrontés à une injonction à mesurer leurs impacts par ces mêmes financeurs. Si cette injonction à évaluer est une nécessité pour les financeurs, elle peut apparaître comme une contrainte supplémentaire aux yeux des porteurs de projets, voire comme un outil de contrôle et de normalisation des projets. Telle qu’elle est demandée par les financeurs, l’évaluation d’impact ressemble souvent davantage à une démarche de reporting qu’à un réel exercice de réflexivité qui permet d’améliorer le pilotage du projet, de fédérer ses parties prenantes, ou encore de capitaliser sur des expérimentations pour produire de la connaissance. Dans ce cas, l’évaluation devient un outil normatif qui, au mieux, n’est pas en mesure de rendre compte de ce qui se joue dans les tiers-lieux ; au pire, les conditionne et les contraint de se ranger dans des cases alors qu’une de leur vocation principale est l’expérimentation.

Du côté des financeurs comme des porteurs de projets, la tentation peut être grande de chercher à tout évaluer. Au-delà du fait que cela soit impossible, cette tentation s’avère toujours contre-productive et il est bien souvent préférable de mettre en œuvre une démarche d’évaluation progressive, qui permettent aux parties prenantes de se réinterroger sur les objectifs du projet, puis de cartographier les actions mises en place, avant de se demander quelles actions nécessitent d’être approfondies pour en étudier les impacts.

S’il n’est pas nécessaire de tout évaluer, il l’est encore moins de tout quantifier car certains indicateurs peuvent s’avérer inappropriés pour le projet ou certaines données peuvent être difficiles à récolter.  En outre, ce qui se joue dans les tiers-lieux, ce sont à la fois des éléments mesurables, quantifiables, objectivables, mais également des effets perçus, ressentis ou vécus. Le lien social est à ce titre un bon exemple de ce qui est difficilement quantifiable mais qu’il est pourtant essentiel de valoriser dans les tiers-lieux. Si l’on peut quantifier le nombre de visiteurs sur un site, comment qualifier la qualité des interactions entre ces visiteurs, ou la possibilité de se mélanger entre personnes socialement différentes ?

S’autoévaluer pour donner de la visibilité sur son projet et ses impacts

Les tiers-lieux peuvent pourtant devenir des acteurs réinventant les démarches évaluatives en les remettant au service des porteurs de projets, des usagers, des partenaires et des financeurs ainsi qu’au service du dialogue entre ces acteurs.

Pour cela, une première étape serait de dépasser la vision selon laquelle celui qui finance et évalue choisit ce qui doit être évalué. En définissant, en concertation, des  indicateurs qui font sens à l’échelle de leurs projets respectifs, les tiers-lieux peuvent davantage rendre compte de ce qui se joue entre leurs murs et hors les murs. Là où certains souhaitent valoriser leur engagement en faveur du réemploi et de l’économie circulaire, d’autres auront à cœur de montrer comment ils contribuent au lien social. Dans un cas comme dans l’autre, ne rendre des comptes que sur le nombre d’emplois créés, du nombre de visiteurs et du chiffre d’affaires ne permet pas de témoigner des effets réels qu’ont ces lieux sur les territoires dans lesquels ils sont implantés.

L’auto-évaluation, au contraire, permet de gagner en réflexivité, et d’éviter les dérives relatives à la relation à l’auditeur prestataire, qui va souvent trouver ce qu’il est payé à chercher. En proposant aux animateurs des lieux des méthodes et des outils d’auto-évaluation accessibles et appropriables plutôt que des grilles d’indicateurs normés, il est possible de  faciliter les liens entre la conduite opérationnelle du projet et l’évaluation de ses effets.

Internaliser son évaluation ne signifie pas pour autant que l’on doit travailler en vase clos. Les tiers-lieux sont par nature des projets collectifs portés vers leur territoire, où les démarches d’auto-évaluation dites apprenantes incitent les porteurs de projet à intégrer l’ensemble des parties prenantes à la démarche d’évaluation, y compris leurs partenaires et financeurs. Dans cette perspective, la démarche d’évaluation devient un processus structurant du projet lui-même, un processus au service de l’amélioration du projet et du partage de ses objectifs entre ses parties prenantes.

Les démarches qualitatives et sensibles peuvent dans ces cas fournir une vision beaucoup plus intéressante de ce qui se passe au sein du lieu. Ce type d’évaluation rend visible et mesurable de nouvelles formes de valeurs, qu’elles soient sociales, environnementales, partenariales, etc. Laisser les parties prenantes définir leurs objectifs et la manière de les mesurer permet de faire de l’évaluation un levier d’amélioration et non de jugement.

Commune Mesure : un commun de l’évaluation au service des porteurs de projets de tiers-lieux

En réponse à ces différents constats et dans une volonté de faire évoluer le paradigme de l’évaluation imposé aux tiers-lieux, la plateforme Commune Mesure propose depuis 2018 de rendre compte et de visualiser les effets des lieux hybrides, avec la volonté d’encapaciter les porteurs de projets de tiers-lieux sur les enjeux d’évaluation. Cet outil numérique met gratuitement à leur disposition des méthodes, des outils et des ressources qui reflètent une vision de l’évaluation apprenante, collective et sensible.

Commune Mesure une démarche collective, structurée autour d’un Comité de suivi, qui regroupe un consortium d’acteurs issus des tiers-lieux, de l’ESS, de la recherche et de l’évaluation d’impact, et arbitre sur les grandes orientations du projet. Plateau Urbain assure le portage juridique de la démarche.

Faits d’activités diverses, de publics mélangés, ces lieux singuliers d’expérimentation collective montrent à quel point la mesure d’impact telle qu’elle est imposée par les bailleurs de fonds gagne à être remplacée par des démarches d’évaluation au service des projets et de leur pilotage. En démontrant leur utilité là où on ne les attendait pas forcément, ces lieux nous incitent à oublier les critères de mesure économique et productiviste, pour se recentrer sur ce qui importe vraiment à l’échelle des lieux eux-mêmes : améliorer le fonctionnement, créer un récit commun, valoriser et partager ses bonnes pratiques et faire de l’évaluation un outil au service du dialogue entre des acteurs qui partagent des objectifs différents.

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